BILAN KARVER - VENDEE GLOBE 2024-2025
Ce Vendée Globe 2024-2025 a été incroyable.
Quelle course ! Quel défi humain et technique !
Nous avons le privilège d’être au cœur des équipes tout au long de l’année et il faut saluer la somme de travail et l’engagement nécessaire pour se lancer dans cette aventure et avoir la capacité d’être présent sur la ligne de départ. Bravo et merci à toutes les équipes.
Nous avions promis de prendre le temps de faire le bilan technique de nos produits et cela implique de parler de plusieurs sujets dans un article surement un peu trop long…
1 – Equipements Karver sur un Imoca
Nous avons regroupé tous les équipements que nous vendons sur les Imocas sur ce visuel « Karverized Imoca ». Les familles de produits les plus significatives sont :
L’emmagasineur et son émerillon structurel nommé J2 (1 seul par bateau)
Les galettes d’emmagasineurs (généralement 3 à 4 par bateau)
Les hooks émerillons externes de voiles d’avant (4 à 5 par bateau)
Les hooks de ris (3 par bateau)
Les bloqueurs hautes charges pour les amures, les bastaques et les foils
Les poulies
Le chariot hooké de GV (One Design pour les nouveaux mâts)
Pour ce Vendée Globe 2024-2025, plusieurs voiliers du Top 15 étaient équipés des dernières versions de nos produits.
Notre gamme Imoca est validée, éprouvée et prête à être de nouveau installée.
2 – Équipes en Karver et communication
Vous êtes nombreux à nous demander qui est en Karver et qui ne l’est pas. Voici un tableau clair sur ce sujet et qui nous permet d’annoncer fièrement que nous sommes présents sur 100 % des bateaux et présents de 50 à 70% selon les familles de produits.
Pendant ce Vendée Globe, vous avez pu entendre parler de problèmes de hooks, de voiles tombées ou perdues ou encore de pièces d’accastillage cassée. Il est rare que les skippers ou les équipes expliquent la raison pour laquelle, une pièce d’accastillage a cassé car les raisons sont, en réalité, multiples. C’est ce que nous allons détailler.
Nous ne publions volontairement pas la liste des problèmes rencontrés par les uns et les autres (toutes marques confondues). C’est une information que nous gardons exclusivement pour nos clients Imoca. A l’annonce d’un problème technique, il est toutefois important de prendre en considération 4 éléments :
Certains skippers ont des problèmes mais ne communiquent pas pour ne pas offrir un avantage psychologique à leurs concurrents
Inversement, certains problèmes sont amplifiés pour les mêmes raisons
Des termes très génériques peuvent être employés pour ne pas trop donner de détails. Un problème de hook ne veut pas forcément dire que le hook est endommagé. De nombreuses causes extérieures peuvent empêcher un hook de fonctionner.
Sans un débriefing précis au retour du bateau, il est souvent très difficile de connaître précisément l’origine d’un problème.
3 – Conception et compétitivité
Des bateaux de plus en plus rapides et de plus en plus raides
Comme les autres pièces d’un voilier de course, les pièces d’accastillage sont conçues depuis un cahier des charges dicté par les architectes, les bureaux d’études et les équipes. Dans la plupart des cas, il ne s’agit que d’un objectif de charge de travail : 12T pour le J2 (la seule voile d’avait qui est en permanence à poste et qui intègre l’étai structurel). 8T pour les hooks de voiles d’avant.
Les équipes ont, pour la majorité, des objectifs de podium. Nous devons donc proposer un produit fiable qui tient la charge mais également un produit qui les aide à aller plus vite. Un produit léger, compact et facile à utiliser. Karver équipe les voiliers de course et les Super Yachts depuis plus de 20 ans et nous sommes justement réputés pour proposer un excellent compromis entre fiabilité et performance.
Toutefois, ces dernières années, les Imocas ont radicalement évolués : le développement des foils, les étraves en scow, et les vitesses maximales et moyennes ne cessent d’augmenter (+20 à 25%).
Les bateaux sont également de plus en plus raides. Le mât, les voiles, le gréement se renforcent et les efforts sont de moins en moins absorbés par ces éléments.
Nous luttons activement contre l’idée que les hooks seraient les fusibles du gréement. La notion de fusible sous-entend que le produit est conçu pour casser en premier. Il n’en est rien.
Des efforts de plus en plus importants
A la vue des images des bateaux en navigation, on comprend que les efforts sur les pièces ont évolué. Les voiliers les plus récents s’envolent à plus de 3-4 m de l’eau et retombent durement. Les skippers sont équipés de casques anti-bruit et sont calés dans leur coussin pour faire face aux vibrations et aux chocs. Le niveau de compétition est élevé et on constate parfois des comportements habituellement réservés à des courses courtes : prises de ris tardives, utilisation des voiles au-delà de leur plage de vent normal, … Les skippers manœuvrent dans des cockpits plus protégés. Ils ont de moins en moins de sensation. Ils voient moins ce qu’ils font, ils entendent moins et ressentent de moins en moins les efforts. Les étais volants sont en place pour sécuriser le mât et faire des roulés/déroulés plus rapidement. Ces mêmes étais subissent des chocs violents à chaque passage de vague à 25-30 nœuds. Les changements de voiles sur la plage d’avant sont limités pour ne pas se mettre trop en danger.
Charges de travail, charges de rupture et charges réelles
Sur ce dernier Vendée Globe, on retrouve des unités mises à l’eau de 2008 à 2023 pour le plus récent et avec des écarts de puissance très importants. Pour autant, les modèles d’emmagasineurs et de hooks sont presque tous les mêmes sur tous les bateaux !
Les nouveaux Imocas sont équipés de capteurs et les pics de charge dépassent rarement la charge de travail de nos produits. Si les anciens bateaux avaient été équipés de ces mêmes capteurs, ils n’auraient sans doute constaté que 50 ou 75% des charges actuelles.
Notre coefficient de sécurité entre charge de travail et charge est stable (x2) mais l’écart entre charges réelles et charges de travail a diminué.
Si les pièces étaient équipées d’une jauge graduée des efforts, les pièces naviguaient dans le vert pour les plus anciens et naviguent désormais dans la zone orange.
Fatigue et durées de vie
Tout le monde comprendra qu’à ce rythme-là une pièce identique n’aura pas la même durée de vie sur un Imoca de 2008 que sur un Imoca de 2023.
C’est la raison pour laquelle nous alertons et nous mettons en place depuis quelques mois des durées de vie selon les caractéristiques des bateaux . Nous proposons également des produits avec des charges de travail plus élevés pour résister plus longtemps à ces nouvelles fatigues.
Pendant longtemps, les pièces d’accastillage étaient considérées comme insensibles à la fatigue. Ou du moins, la fatigue n’était pas assez présente pour aller jusqu’à la rupture. En tant que concepteur, nous pouvons facilement grossir nos pièces mais en tant que fournisseur d’un sport de compétition, nous devons proposer des produits ultra performants. Au final, chaque équipe fera ses choix entre poids et durabilité. Ce n’est ni plus ni moins que les mêmes problématiques qu’en F1. Un pneu plus rapide dure moins longtemps. A chaque équipe d’adapter sa stratégie avec ces nouvelles données.
Nous alertons aussi sur des principes simples. Nos pièces s’inscrivent dans une chaine d’autres produits (mâts, loops, étais, voiles, …) et la façon dont elles sont installées, utilisées et entretenues ont un impact sur leur durabilité. En d’autres termes, une attention sur ces 3 points peut permettre de continuer à garder un dimensionnement de pièce raisonnable.
Par exemple, nous demandons aux équipes de faire très attention sur le dimensionnement (diamètre et longueur) des attaches textiles. Avec les chocs de plus en plus forts et répétés, il est très important que nos produits restent alignés dans le sens des efforts. Si l’attache textile est surdimensionnée et mise en force dans notre œil, cela affectera la liberté de mouvement. Pour garder cette articulation, on peut agir sur 2 éléments : soit l’augmentation de la taille de notre œil soit sur la diminution du diamètre de l’attache textile. La charge de travail des attaches textiles sont très au-delà des charges de travail de leur point de fixation sur le mât ou de nos produits. Avant de penser à augmenter la taille de nos pièces, une autre piste est d’envisager la diminution de l’attache.
Dans un autre registre, nous savons que les voiles roulées, à poste avec peu de tension de câble donnent de gros à-coups dans les pièces d’accastillage. En étant plus sensibilisés sur ce point, les skippers pourraient limiter la fatigue des pièces.
L’évolution des Imocas oblige les équipes et les fournisseurs à composer avec un nouveau venu : la fatigue des matériaux !
5 – Explication des problèmes techniques
Au-delà des choix de modèles, l’origine des problèmes techniques est de différentes natures et concernent dans de nombreux cas l’installation, l’utilisation et l’entretien. Voici quelques exemples avec des hooks émerillon pour illustrer ce propos.
Installation :
Loops de fixation trop court = problèmes d’alignement = contraintes dans l’œil
Loop de fixation rentré en force dans l’œil = pas assez d’articulation
Diamètre de drisse épissée trop gros = gêne et endommage le mécanisme
Manque d’articulation dans l’axe du bateau (VG24-25)
Housse de protection gêne le fonctionnement et/ou système de fixation de la housse rentre dans le hook (VG 20-21 et 24-25)
Utilisation de scotch pour bloquer l’épissure (VG 20-21)
Utilisation de 2 pièces non compatibles de 2 générations. (VG 20-21 et 24-25)
Absence de marques de hookage sur les drisses (position max de hookage au-delà de laquelle la drisse risque de casser)
Utilisation :
Non-respect des marques de hookage (VG24-25)
Drisse secondaire enroulée autour du hook empêche le déhookage (VG24-25)
Voile à poste trop longtemps sans tension (slacks)
Tension d’amure pas assez lâchée
Drisse de hook laissée au taquet = déhookage si le mât « pompe » trop dans un choc.
Entretien:
Non-respect du programme d’entretien (VG24-25)
Mâchoires installées à l’envers (VG20-21)
Non-respect des consignes de graissage (trop ou pas assez)
Utilisation d’un dégraissant / dégrippant trop agressif.
Fabrication :
Nous ne pouvons pas traiter les problèmes techniques sans aborder notre responsabilité directe. Une erreur de conception, une erreur d’usinage, une erreur de matière ou une erreur de montage peuvent être des réalités. Cela est arrivé dans le passé et pourrait encore arriver malgré l’attention que nous portons à ces sujets.
Pour chaque problème remonté par les équipes, nous nous interrogeons sur notre responsabilité et nous faisons évoluer nos produits en permanence en fonction de leurs remarques.
6 – Fiabilité & critères de performance
Karver a été le premier accastilleur à proposer des hooks émerillon (KFH). Sur les Imocas, nous estimons que 450 de nos hooks ont navigué sur les 6 dernières éditions du Vendée Globe. Ils ont donc navigué plus de 6 millions de milles nautiques (11 millions de km). Nous ne comptons qu’une poignée de casses en plus de 20 ans. Cela fait de nous, factuellement, le fournisseur de hooks-émerillon Imoca le plus fiable au monde.
Sur le Vendée Globe 2024-2025, et en attendant d’avoir plus d’informations, notre responsabilité directe est engagée sur 2 voiliers. Rapportée aux 130 hooks de la flotte, cela représente moins de 2% de problèmes.
Nous tenons à la disposition des équipes, des statistiques très détaillées si elles souhaitent en savoir plus.
Critères de performance
Les fabricants d’accastillage, de voiles ou d’électronique ont souvent été malmenés dans les réseaux à la suite des différentes communications.
Sans vouloir accuser ou dédouaner qui que ce soit, l’objet de cet article est surtout de donner des clés de compréhension. Ce sont des sujets complexes qui nous amène à parler des critères de performance.
Comme nous l’avons expliqué, chaque équipe doit se poser des questions sur la façon de traiter ces sujets stratégiques. Un projet Imoca peut s’arrêter sur une casse d’un de nos produits. Que nous en soyons directement responsable ou pas. Ce qui est également certain, c’est que la confiance des skippers dans le matériel est prédominante pour oser pousser leur bateau dans leurs limites (et parfois au-delà).
Fiabilité / durabilité et confiance sont donc les 2 éléments centraux.
Pour arriver à ce résultat, il y a selon nous 2 pivots :
Le produit
Ses caractéristiques techniques : dimensions, poids, friction, fonctionnement
Sa fiabilité (nombre de problèmes / nbre de hooks, historique, …)
Son prix !
Son niveau d’innovation et d’adaptabilité dans le temps. Nous possédons plusieurs brevets et nous sommes à l’origine de très nombreuses évolutions : hook-émerillon, verrou anti-rotation, protections anti-chocs ergonomiques, arrondissement des zones de lashing, emmagasineurs en carbone/Kevlar, bloqueurs à 3 mâchoires, axes rapides imperdables, encoche rapide de passage de drosse, manivelles carbone, réas 3 :1, poulies hautes charges, etc…
Nous entendons les équipes dire que les poids ne sont plus un critère de performance. C’est entendable sur les produits présents sur le pont mais contre-productif pour les pièces dans le mât (hooks émerillon, émerillons, …). Sur un Imoca, il faut compenser 1kg dans le mât par 10 kg dans la quille. Nous savons allier fiabilité et performance. Dans les hauts, chaque kilo a un effet sur la performance.
Nous utilisons depuis plusieurs mois des modules de fatigue à notre logiciel de conception afin de mesurer les différences de longévité entre 2 dessins. Nous faisons également appel à des bureaux d’études externes équipés de plus grosses capacités de calculs qui utilisent les logs de charge de nos clients. Ces études sont corrélées à plusieurs tests de rupture sur banc pour valider nos hypothèses.
Le service associé au produit
Le service est tout aussi important que le produit lui-même
L’accompagnement et le conseil dans le choix des modèles par rapport aux objectifs, aux budgets, aux programme de maintenance, ..
L’accompagnement et le conseil sur la période d’intégration des produits sur les plans, sur le bateau et lors des premières navigations
La capacité d’expliquer nos choix techniques et notre capacité à concevoir rapidement un produit unique
Notre présence sur tous les départs et arrivés de course. Pour l’anecdote, nous avons décelé 2 très gros problèmes d’installation à quelques jours du départ du dernier Vendée Globe.
La mise à disposition de produits de rechange en location
L’accompagnement tout au long de la vie des produits pour entretenir, former, faire évoluer dans des conditions tarifaires claires.
Nous avons considérablement augmenté la qualité de notre service aux équipes de course en mettant en place des inventaires détaillés, des tarifs précis, et en intégrant de nouveaux outillages comme les bains de ressuage en interne.
Proximité géographique. Notre installation à Lorient il y a maintenant 5 ans n’avait qu’un seul objectif : être au plus près des équipes pour être plus proches, plus à l’écoute, plus réactifs.
7 – CONCLUSIONS
Nous attendrons les derniers bateaux encore en course et la fin de tous les débriefings techniques pour corriger et finaliser le bilan Karver de cette édition 2024-2025, mais nous pouvons déjà en tirer quelques conclusions :
Il y a eu des casses avec nos produits pendant ce Vendée Globe et que nous ayons une explication ou non, que nous en soyons responsables ou non, cela suppose que nous n’avons pas su accompagner correctement nos clients et nous ne pouvons donc pas nous en satisfaire. Il y a encore trop de problèmes liés à l’installation, l’utilisation et la maintenance. C’est notre rôle d’informer, d’accompagner et d’adapter nos produits.
La majorité des casses ne sont pas liée à nos produits et cela renforce notre image de fiabilité.
Le grand public manque d’informations techniques et juge avec sévérité la fiabilité de l’ensemble des produits de toutes les marques. Cet article permettra, nous l’espérons, de corriger un peu ce point.
Les Imocas ont beaucoup évolué et les équipes doivent intégrer la notion de fatigue et de durée de vie si elles souhaitent continuer à utiliser des produits optimisés en poids.
La course au large est un sport mécanique pointu et complexe en évolution constante. Les choix d’accastillage sont à prendre très au sérieux. Le conseil, l’accompagnement et la proximité sont aussi importants que le produit lui même.