Portrait Karver – Guillaume Pirouelle, skipper professionnel et ingénieur
S’il n’est pas encore connu du grand public, cela pourrait ne pas tarder. Quand on « Google » son nom sur internet, son profil apparaît déjà entre un certain Tom Laperche et le très réputé Yann Eliès. Nous avons été à la rencontre de Guillaume Pirouelle, ingénieur au Bureau d’Etudes Karver depuis deux ans, mais aussi nouveau skipper du Figaro « Région Normandie », à la veille d’entamer sa première saison complète en solitaire.
Sur l’eau comme au bureau, l’excellence au quotidien
Il se dit plutôt timide et dans ses propos c’est le mot « chance » qui revient le plus souvent ? Ne vous y trompez pas, s’il a l’humilité des vrais grands talents, le parcours de Guillaume Pirouelle ne doit rien au hasard. Un environnement familial favorable, une tête bien faite, doublée d’un esprit de compétition et d’une détermination sans faille, sont bien plus sûrement à l’origine d’une trajectoire jusqu’ici parfaite.
Mens sana in corpore sano
Le natif de Rouen a tout de suite baigné dans l’univers de la voile. Si Pirouelle père est un inconditionnel de la planche à voile, il fait l’acquisition d’un Optimist pour occuper les deux mois de vacances estivales du petit Guillaume, qui de son propre aveu « accroche tout de suite ». Alors, lorsque la famille déménage au Havre, aucun doute sur ce qui va occuper ses loisirs, c’est direction le Club de Voile local. L’hiver, sur le bassin du commerce, il faut parfois retirer la glace au fond de l’Optimist, mais cela ne refroidit en rien le jeune impétrant qui se découvre des envies de compétition.
Champion dans toutes les catégories jeunes
C’est donc la Ligue de Voile de Normandie qui l’accueille avec pour premier entraineur un certain Francis Le Goff. Celui-ci étant aujourd’hui directeur de course de la Transat Jacques Vabre et de la Route du Rhum, difficile de ne pas y voir, à posteriori, un signe du destin. Mais pas question de brûler les étapes. Les différentes catégories jeunes sont écumées en Optimist, puis en 420 et enfin en 470. S’il se souvient, et ne manque pas de remercier, ses entraineurs successifs, ce sont surtout ses concurrents qui se souviendront longtemps de lui À la barre de bateaux menés en duo avec Valentin Sipan, les titres jeunes s’accumulent : champion de France, d’Europe et même du monde en 2015.
De l’Optimist au Diam 24 sans état d’âme
Si derrière la non-qualification pour les jeux olympiques, puis pour la Youth America’s Cup pointe forcément une once de déception chez le compétiteur-né, mener de front carrière de navigateur professionnel et études ne laissent pas beaucoup de temps pour les regrets. Jusqu’au baccalauréat d’abord, puis à l’Insa Rennes pour ses études d’ingénieur ensuite, il bénéficie certes d’un emploi du temps adapté mais les déplacements vers La Rochelle, Brest, voire La Grande Motte s’ajoutent aux heures d’entrainement. Pourtant, ses rares moments de loisirs, il les passe sur l’eau sur une planche de Kite-Surf. A multiplier les expériences sur tous types de support depuis son enfance havraise, il a cette capacité à « s’habituer facilement à tout type de bateau ». Ainsi, en 2016 il est sur le diam 24 du Normandie Elite Team lors du Tour de France à la Voile. À la clé, une première victoire d’étape en Espagne qui ne passera pas inaperçue. S’en suivront trois années exceptionnelles sur Beijaflore, avec pour résultats consécutifs : 3ème, 2ème et finalement vainqueur du Tour Voile 2019 !
Karver et haute compétition
2019 marque également la fin de ses études d’ingénieur, conclues par 6 mois de stage qu’il a « la chance » (encore !) d’effectuer chez Karver. Une entreprise « qui lui va bien », avec une « belle équipe » qu’il connaît de longue date car elle l’accompagnait déjà en 470 en fournissant de l’accastillage, et pour laquelle il est « tout fier » de travailler. Un stage qui se transforme opportunément en CDI en 2020. Une année de transition qui le voit se concentrer aux côtés de Marin Clausin, sur les winches Karver, étudier la moindre amélioration possible, suivre les fournisseurs, les commandes, le SAV. Pour le fondateur de Karver, avant tout navigateur lui-aussi, forcément, intégrer un skipper d’un tel niveau, dans une entreprise qui a la course au large dans ses gènes depuis la première heure, est comme une évidence. C’est d’ailleurs tout sauf un hasard si 100% des membres du bureau d’études naviguent. Car c’est sur l’eau, avec les coureurs, que Karver imagine d’abord, puis crée, expérimente, valide, et améliore son accastillage de pont et de mât si innovant depuis bientôt 20 ans.
De l’olympisme au grand large
L’idée de passer le pas entre voile légère et course au large « trotte alors dans la tête » de Guillaume. Lui qui enfant répondait, « jamais », quand on lui parlait de Vendée Globe, et qui jusqu’alors n’était « jamais monté sur un habitable, travailler chez Karver m’a ouvert les yeux à travers tous ses produits d’accastillage pont ou gréement, m’a rendu curieux de cet autre monde ». La porte d’entrée prendra la forme d’un appel d’Alexis Loison qui cherche un jeune Normand pour prendre sa suite sur le Figaro de la région. Si la période de sélection est stressante, cette fois c’est la bonne et voilà Guillaume parti pour trois saisons à bord du Figaro Bénéteau 3 noir et rouge. La première année, de « transmission », en double avec Alexis Loison débute par une très belle Sardinha Cup, puis très vite, c’est la transat en double, un format complètement nouveau pour Guillaume. De nouveaux domaines, météo, stratégie, sommeil, financement, complexifient les projets mais il apprend vite aux côtés de son mentor qui compte déjà 16 saisons en Figaro et dont c’est la troisième transat. Résultat, une très belle cinquième place, mais qui laisse presque un goût amer au duo, qui voit le troisième passer la ligne quelques minutes seulement devant lui.
Classe Figaro, l’exigence ultime
A bord du monotype « il n’y a pas assez de produits Karver » à son grand regret. Seulement l’emmagasineur, les manivelles et un jeu de poulies pour les voiles d’avant. Le niveau exceptionnel atteint par cette classe qui réunit l’élite de la course au large française, mériterait plus sans pour autant augmenter le budget. Les petites lattes de réglages de haubans/bas-haubans custom Karver ont d’ailleurs été très enviées. La porte à réa d’emmagasineur imaginée par Guillaume pour réduire vraiment au minimum les frictions sur son monotype a été adoptée par ses concurrents et jusqu’aux trimarans Ultims. Chaque détail compte quand le niveau d’exigence est à son maximum, car en Figaro « le rythme est dingue, il y a zéro écart entre les bateaux, tous au contact après 15 jours de course, une intensité folle, sans aucun moment de répit ». Combinez l’ensemble sur une durée inhabituelle lorsque l’on vient de la voile légère : « au bout d’une semaine on se dit qu’on est à la moitié du parcours, alors qu’en réalité il reste plus des deux tiers ! » Un apprentissage du temps long qui se révèlera certainement utile au sein de l’entreprise.
Objectif Solitaire du Figaro
Entre une deuxième transat à l’automne, sur un Class40 cette-fois lors de la Route du Café, et une saison de Figaro qui s’annonce très intense, Guillaume a repris le chemin de Honfleur et sa place au Bureau d’Etudes. Le rythme est intense entre travail et navigations d’entraînement, mais « j’aime ça, je suis jeune, j’ai de l’énergie, alors c’est maintenant ou jamais » répond l’un des benjamins de l’équipe Karver, 27ans. Alors le Normand s’exile régulièrement en Bretagne, à Port La Forêt, dans « la vallée des fous ». Heureusement, le bureau et l’équipe de Karver Lorient ne sont jamais loin. Tanguy, Aloïs, Cédric et Christophe, qui ne manquent jamais une occasion de naviguer, sont là en soutien, bottes et cirés parés à accompagner tous les coureurs habitués de La Base de Lorient. « Naviguer en compétition ouvre les yeux sur toutes les sources d’améliorations possibles », alors dans le tandem Karver – skipper tout le monde est gagnant. Sur l’ensemble du Championnat de France Elite de Course au Large 2022, et plus particulièrement sur la Solitaire du Figaro, c’est tout le bien que l’on souhaite au tandem.
Photos : JM Liot / Philippe Breard / Thomas Deregnieaux / JB D’Enquin / DR